Interview réalisée Pierre Gelis pour Funds Magazine.

Quelle méthode de valorisation vous semble efficace dans notre environnement de taux d’intérêt négatif ?

Les outils de valorisation classiques sont toujours valables car fondamentalement rien n’a changé, nous sommes toujours dans le même monde et les entreprises n’ont pas changé. Cependant les multiples de valorisation accordés à certains secteurs me semblent exagérés. Tel est le cas des valorisations atteintes dans le segment aliments et boissons. Dans l’environnement actuel de taux d’intérêt très bas ou négatif, s’appuyer sur le fait qu’il s’agit d’un secteur très stable en termes de bénéfices et de cashflow propulse les ratios cours sur bénéfices vers 20, 25, 35 fois, ce qui me semble farfelu. Je me méfie beaucoup des tentatives de me convaincre de surpayer une action parce qu’elle serait censée se comporter comme une obligation.

Qu’est-ce qui vous choque le plus ?

Il faut faire attention aux multiples que la bourse accorde mais pas nécessairement aux outils dont on se sert. Finalement le marché est schizophrène parce qu’il accepte des multiples très élevés à certains secteurs et en même temps pour d’autres secteurs, comme l’énergie, les multiples restent déprimés alors qu’ils présentent une meilleure exposition positive à ce qui pourrait se passer dans les mois à venir. En théorie on accorde une prime à la sécurité. C’est logique de surpayer la visibilité lorsque la croissance reste faible, que la progression des bénéfices stagne. Mais maintenant l’économie s’est rétablie et les bénéfices augmentent si bien qu’il n’est plus logique de surpayer la croissance des bénéfices.

Dans votre processus de gestion, comment déterminez-vous le nombre d’idées nécessaires à la construction du portefeuille ?

Nous avons habituellement près de 55 lignes en portefeuille. Ce nombre me donne à la fois une bonne diversification des risques spécifiques à chaque titre mais en même temps recèle des convictions suffisamment fortes pour que chacune participe positivement à la performance du fonds. C’est un équilibre entre deux forces que sont la diversification et la contribution positive à la performance. Et puis il y a un aspect humain, 55 lignes sont maîtrisables pour un gérant, nous pouvons suivre convenablement le contenu du portefeuille.

Oui mais comment obtenir que les positions puissent délivrer de la performance le plus régulièrement possible ?

Le fait qu’il existe une corrélation étroite entre le prix que l’on paie et la performance future est la raison pour laquelle je ne modifie pas la politique de gestion. Nous gardons l’esprit ouvert, nous accordons une grande attention aux aspects macroéconomiques et fondamentaux des entreprises si bien que les idées d’investissement intéressantes changent. En reproduisant le même processus, idée par idée, secteur par secteur, à la longue nous créons un portefeuille compatible à l’extériorisation de performances positives. Et ça semble marcher bien que certains trimestres soient décevants. Cette année, par exemple, j’ai eu un mauvais premier trimestre, un bon deuxième trimestre et un troisième trimestre assez neutre. Certaines idées tardent un peu à délivrer de la performance. L’énergie par exemple est un secteur qui aurait dû marcher plus tôt cette année. J’ai renforcé la position. Les étoiles me semblent maintenant assez bien alignées pour que ce secteur réalise une bonne performance à long terme. De temps à autre, il faut être un peu patient. C’est une autre raison pour laquelle je maintiens une certaine diversification.

Comment faites-vous pour éviter que les idées débouchent sur une concentration de risques cachés ?

Que ce soit à la vente ou à l’achat, nous étudions chaque titre mais aussi les interactions sur le portefeuille. Est-ce que cette décision crée un risque spécifique, est-il voulu ? L’expérience de chaque membre de l’équipe est très utile car elle nous apporte une compréhension profonde des marchés européens, des corrélations et des non-corrélations entre les secteurs et les titres. Nous travaillons ensemble depuis des décennies. En plus de cette approche qualitative, nous procédons à un contrôle quantitatif des risques, ce qui permet de surveiller les ratios de volatilité, de concentration et de contribution à la tracking error. Le plus souvent cette analyse confirme ce que je pensais au départ. De temps à autre, il me faut procéder à de petits ajustements. L’historique de performance du fonds Invesco Euro Equity Fund montre que nous captons plus de valeur que nous en perdons par rapport à notre indice de référence, le MSCI EMU NR.

Selon vous quelle est la différence entre valorisation et value ?

C’est surtout dans l’esprit. Si je me décrivais en tant que gérant value, je donnerais une mauvaise image de ce que je fais et ma façon de raisonner. Certes, très souvent les concepts de valorisation et value sont assez proches. L’analyse sur cinq ans du fonds montre que la plupart du temps le portefeuille est investi en actions value. Cependant l’année dernière j’avais acheté une belle position dans Ryanair qui est une valeur de croissance classique. A ce moment-là, la valeur était disponible à un prix bradé. En termes de valorisation je ne peux pas ignorer les opportunités qui existent en dehors du segment des actions réputées value. J’ai donc acheté Ryanair pendant l’été 2016 et je l’ai revendu cet été avec une très belle performance obtenue plus rapidement qu’attendu. C’est la raison pour laquelle je donne la primauté à la valorisation sous-jacente et non pas seulement au caractère value.

Pierre Gelis, Funds Magazine